Ronan ce soir, t’es le plus perdu des hommes.
T’as un rire éraillé au fond de la gorge, t’as les mains qui tremblent et le regard nerveux ; une rangée de shooters vides alignée devant toi, et tu jurerait presque entendre les petits verres te supplier de les remplir à nouveau.
Y’a pas que les verres qui te le demandent d’ailleurs. Y’a ton gosier aussi.
Et ton cerveau.
Le barman te jette un regard désobligeant auquel tu ne fais pas attention –l’habitude d’être mal vu depuis la naissance probablement. Faut dire qu’ici, à Lavandia, des clochards ivres comme toi on en voit pas des tonnes ; tu sais pas trop à quoi c’est dû, peut-être à cause d’Avalon et de la furie qui leur sert de cheffe –de ce qu’on t’a raconté depuis que t’es arrivé, quelques jours plus tôt– parce que dans les autres grandes villes où t’es allé traîner ta carcasse, y’avait toujours trois quatre autres types aussi paumés que toi dans les bars miteux où tu te saoulait.
Ça te fout toujours un coup ça, de t’dire que t’es pas le seul à crever comme un chien à petit feu, à t’noyer lentement dans l’océan brûlant de l’éthanol et la dépression.
Même dans la misère, t’es pas spécial.
T’es pas unique.
Tu l’as jamais été.
C’est toi qu’elle aurait choisi ta dulcinée si ça avait été le cas.
Tu renverses la tête en arrière, laisses un soupir étouffé monter dans ta gorge et tu fermes les yeux. Ça t’aurait bien aidé sûrement d’avoir quelqu’un à tes côtés là, maintenant. D’avoir une fille pas trop demandante qui te laisserait l’allonger pour la nuit, le temps de te vider la tête, le coeur et les couilles, le temps de te perdre dans la chaleur d’un amour aussi fictif que le sourire sur ta gueule. Mais là, t’es tout seul dans c’bar de merde, à part le barman et quelques clients, et tu doutes qu’eux t’acceptent sous leurs draps.
T’es pas certains de le vouloir non plus d’ailleurs.
Tu renifles, tu jette un coup d’oeil à ton porte monnaie ; aujourd’hui tu dépenses tout ce que t’as pu gagner depuis ton arrivée sur Hoenn –aujourd’hui tu fêtes la gloire et le succès Ronan, elle est belle ta réussite ! Tu cherche à estimer un instant ce qu’il te reste, et puis tu hausses les épaules, tant pis –si jamais t’as plus assez pour payer tu seras pas à une gueule cassée près.
—La même chose, tu grognes, avec un peu de difficulté pour articuler, s’vous plait.
Elle est belle ta déchéance Ronan.