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 dance with the devil ((serah))

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Yûki
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Yûki


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MessageSujet: dance with the devil ((serah))   dance with the devil ((serah)) Icon_minitimeJeu 27 Juil - 14:29

Serah Grace Ziegler
don't you dare look at the Devil in the eye ?

You're human ;
Nom Ziegler.
Prénom(s) Serah Grace.
Âge 22 ans.
Surnoms /
Orientation sexuelle Non renseignée.
Groupe Civils.
Ce qu'elle pense de la situation à Astrophel C'est distrayant d'une certaine façon, ça l'amuse, comme l'un de ces feuilletons ennuyants à en mourir que l'on ne peut pourtant s'empêcher de suivre à la minute près, épisode après épisode.
Métier Dealeuse à ses heures perdues ; étudiante en psychologie - criminologie.
Nationalité Américaine.

Maybe, not totally ;
Pouvoir Souffrance.
Description du pouvoir un regard, de la volonté, et l’une des douleurs les plus foudroyantes qui soient vous traverse et vous plonge dans un Enfer, un supplice qui peut s’attarder aux environs d’une soixantaine de secondes au maximum. Plus Serah fera durer l’affliction, plus les contrecoups seront virulents : d’une simple baisse de tension qui lui provoque un vertige de quelques instants, jusqu’à la répercussion d’une douleur semblable à celle infligée, en passant par une vague faiblesse musculaire prolongée sur plusieurs jours, accompagnée de temps à autres d’absences et d’autres pensées dissonantes, elle est loin de connaître encore tous les possibles et toutes les limites de son don — dont elle ne fait que trop peu usage.


you're playing with a heart that's fireproof

Physique ;
Une rumeur s’élève, serpente, se faufile au milieu de la pièce et, bientôt, un éclat affamé s’allume dans les prunelles des hôtes. Ils attendent, s’impatientent, ils lancent des regards à la dérobée en direction de la porte mais ça n’est jamais la silhouette qu’ils attendent qui se dessine dans la pénombre de l’encadrement. Le calme revient, peu à peu, on se détourne, une part de l’esprit oublie quand l’autre, famélique, insatiable, claque des dents en espérant encore. Et puis, la voix fuse, suave, délicate, charmeuse ; elle s’est glissée sans un bruit jusqu’à l’accoudoir du fauteuil le plus proche, et personne ne l’a remarquée — elle s’est faite spectre, ectoplasme qu’ils auraient tout aussi bien pu rêver, intoxiqués comme ils le sont.

Elle a le sourire aux lèvres, le rictus des conquérants, des impavides, souligné d’un rouge profond, amarante, tant que l’on serait persuadé de goûter au sang si l’on cueillait l’un de ses baisers au creux de sa chair subtilement mordue — tout est mesuré, calculé ; plaire et charmer. Elle a les traits doux, esquissés au pastel fin, ébauche exquise sur un coin de toile d’ivoire. Ce sont deux perles de lapis-lazuli soulignées d'un khôl des plus sombres qu’elle laisse glisser de l’un à l’autre, ceux qui l’observent et la réclament, ceux qui la jugent et la condamnent ; deux joyaux cobalt aux ailes corbeau qui défient le monde de la faire tomber, d’ébrécher son piédestal de marbre sculpté d’ouvrages complexes et sophistiqués, nébuleux autant qu’elle peut l’être.

Ses doigts graciles, ornés d’anneaux fins, échangent monnaie contre artifices, billets contre chimères — narcotiques toxiques, mirages vénéneux, fictions délétères. De temps à autres, ses ongles vernis d’oripeau disparaissent entre les mèches rousses de sa chevelure, crinière de feu que l’on craint de toucher de peur de s’y brûler. Les boucles irrégulières glissent sur son épaule, s’échouent plus bas encore, là où les regards se dérobent pour ne pas risquer l’indécence — elle esquisse à peine un mouvement, et de l’air soulevé exhale une légère effluve de café, coupée par quelque chose d’un peu plus sucré, arôme printanier ténu. C’est entêtant, presque capiteux, on s’enivre à être auprès d’elle — l’un s’amuse à le lui faire remarquer, et son rire éclate dans la pièce. C’est un son charmant, ensorcelant, elle rit et le monde est à ses pieds.

Dans les enceintes, les refrains se font tout à coup moins déchaînés, les airs se font plus propices à la danse, et un téméraire s’approche, se penche à son l’oreille — percée ; on devine la plume aérienne qui paraît prendre son envol à chacun de ses gestes, même les plus infimes. Il y a comme un silence, pesant, lourd de sens au milieu de l’assemblée, et puis l’on ricane — les iris aux parures de voûte céleste se déguisent d’orageux lorsqu’ils se posent sur les éhontés, et l’on n’ose plus parler. L’instant qui suit, ses talons claquent sur le parquet flottant, et l’on regarde la silhouette grandie par la fraude — l’on suppose qu’elle plafonne au mètre soixante-dix, certains parient encore un peu moins, l’on est incertains puisqu’elle est perchée sur ses escarpins de velours carmin — qui s’éloigne, s’offre aux bras, aux mains habiles qui la font tournoyer. Ses jambes, laissées nues sous un short sombre, attirent les œillades flatteuses de la plupart, lorsque les autres ne peuvent s’empêcher de laisser leurs yeux courir sur d'autres horizons, le ventre plat que son top dévoile, l’épaule dévêtue du vêtement cardinal.

On la connaît habillée de vêtements riches aux tissus précieux, soyeux, à la couture précise — parfois sur-mesure —, fripes chatoyantes, étoffes onéreuses, l’on devine aisément qu’il n’est pas dans ses habitudes de se restreindre dans son art du paraître. Elle est comme tous ces gosses des quartiers luxueux, gorge et poignets décorés de bijoux criards, diamantés, maquillée comme si c’avait été fait par des mains professionnelles, couverte comme si avoir l’air étaient les seuls mots d’ordre de l'univers.
Et pourtant, certains l’ont déjà vue autrement, vêtue d’affaires plus simples, plus sobres aussi, tout juste ce qu’il faut pour se fondre dans la masse des quartiers les plus modestes — pauvres, miteux, purement prolétaires — et y évoluer sans accroc — sans contraster, sans détonner. L’apparence du business, il paraît — c’est ce qu’elle dit, ce que l’on croit, ce qui plaît puisque ça sonne juste entre ses lèvres.

Elle est belle, charmante, séduisante ; la main nonchalante qui effleure sa taille fine attire les regards envieux, jaloux — source de conflits, différends, ses regards sont sortilège et ses baisers arsenic, elle s’en joue comme elle joue du monde entier ; elle envoûte, captive, conquiert et subjugue. Les yeux la suivent, troublés, comme fascinés ; bientôt, elle s’efface, et la soirée perd un peu de sa saveur — elle partie, le brasier n’est plus. Restent cendres et débris — Black Opium au corps et poudre au creux des veines — nostalgie et désir d’un peu plus.

Caractère ;
Serah est de ces grands, de ces leaders, de ces dirigeants, de ceux qui ordonnent et face à qui l’on s’exécute, de ceux à qui l’on donne si l’on ne veut pas qu’ils prennent, de ceux qui font la main basse sur ce qu’ils désirent, de ceux qui obtiennent tout ce qu’ils envient, de gré ou de force. Serah est de ceux-là, de ceux qui, montres d’argent au poignet et diamants au cou, fuient la misère par les possessions, esquivent les embûches par l’or qui coule entre leurs doigts. Elle est de ceux qui ont compris que les intérêts d’un seul, d’elle seule valent mieux que ceux d’autrui ; elle est de ces égoïstes, de ces égocentriques qui volent les places et raflent les mises dues à d’autres et toujours impunément. Elle est de ceux-là, de ceux qui ont bouclé leurs sentiments à double tour, quelque part entre billets verts et sachets de poudre — tout du moins, de ceux qui s’y efforcent, jour après jour, heure après heure.

Parce qu’elle est des haineux, Serah ; elle est de ceux que l’on a brisés, que l’on a écrasés sous les talons lustrés, que l’on a traînés comme de vulgaires pantins puis démembrés comme quelque marionnette trop usée pour servir encore. Elle est de ceux qui se sont laissés leurrer, de ceux qui se sont laissés éblouir et abuser par quelques paroles soufflées d’un ton plus doux que d’autres, par quelques gestes d’une tendresse rarement goûtée, trop peu éprouvée pour ne pas s’y abandonner. Elle fut de ces idiotes, de ces imbéciles qui se perdent au carrefour de la passion quand vient la fleur de l’âge, l’adolescence et ses grandes folies ; elle fut de ces gamines pleines d’ivresse à l’idée d’aimer, de celles qui ont trop donné et ont sombré en désillusions.
Elle est de ceux que les souvenirs entament, que les clichés de l’esprit condamnent, elle est de ceux qui craignent de fermer les yeux quand le voile obscur devient diapositives douloureuses d’un temps écoulé dont le glas a sonné mille fois déjà. Elle est de ceux qui ont tari leurs larmes sans plus les laisser couler — de ceux que l’on dit insensibles, de ceux que l’on dit antipathiques, de ceux que l’on dévisage dans les allées, mépris au fond des prunelles, parce qu’ils sont ceux que tout le monde désire mais que personne n’aura, ceux que tout le monde haït mais que personne n’atteindra, parce qu’ils sont les intouchables, brusqués par la vie et au cœur coulé d’acier blanc.

Quand elle a oublié que pleurer était permis, c’est le sourire des inébranlables qui s’est accroché à ses lèvres ; Serah est devenue de ceux qui ont le rire facile et un semblant d’âme libre. Elle est entré dans la sphère de ceux qui ont dompté la vie, qui ont gravé le monde et fait tourner l’univers comme ils l’entendaient, l’ont façonné à leur image pour le rendre un peu plus beau — un peu moins acéré, un peu moins lancinant pour leur être déjà trop entamé. Elle est devenue de ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre, ceux qui tranchent et lacèrent, ceux qui coupent les derniers fils et suturent les plaies des chairs qu’ils ont eux-mêmes déchirées ; elle est à présent de ceux qui blessent pour ne pas être blessés, de ceux qui tuent si c’est la condition pour qu’ils vivent, de ceux qui se font tigre lorsqu’ils ont un myocarde d’oiseau — fragile, délicat, si aisément altérable au creux de mains noires d’encre, brunes d’un sang fané.

Serah est de ceux qui mentent comme ils respirent, de ceux qui détournent le regard et esquissent un pas de côté quand la vérité cherche à les heurter, de ceux qui disent trébucher sur le vide lorsque c’est leur propre âme qu’ils piétinent. Elle est de ceux qui nient leurs failles, leurs travers, ceux qui ont trop d’honneur, trop de fierté, ceux qui, la tête haute, le menton levée, les yeux perdus dans un horizon de doutes indiscernables, défient le monde de les frapper, le monde de les médire, le monde de les faire tomber — ceux qui défient la vie même de les quitter, parce qu’ils sont déjà cendres éparses au creux d’eux-mêmes, et qu’il ne leur reste plus que leur morgue à aliéner.
Elle est de ceux qui serrent les dents sous les coups, ceux qui sifflent entre leurs mâchoires obstinément closes lorsque les reproches pleuvent et que leurs propres torts leurs sont listés, énoncés, crachés comme on cracherait injures et blasphèmes à la figure d’un condamné que l’on aurait jeté au sol, face contre le macadam gris poussière, rouge existence égarée, goût béton et fermant des entités putréfiées — les vrais vainqueurs, les vrais invincibles, ceux qui ne sont pas comme elle, ceux qui ne sont pas comme eux. Elle est de ceux qui rient des états d’âmes d’autrui, ceux qui prennent les palpitants en otage et les broient d’une seule main, les meurtrissent d’ongles trop clairs pour tous les maux causés, pour toutes les plaies ouvertes, pour les trois cent lésions par corps et par cœur.

Serah est de ces innocences juvéniles souillées, bafouées, de ces candeurs écorchées, sacrifiées sur l’autel de la trahison, des mensonges qu’elle a fait siens ; Serah est de ceux qui sont mauvais, enchanteurs, de ceux qui révulsent et fascinent, attirent et répugnent ; Serah est vanité suffisante sur son piédestal de marbre ouvragé, ébréché ; Serah est poison, arsenic, narcotique, venin écoulé dans les veines des victimes, des bourreaux — elle est charmante, charmeuse, elle est lumière vive et parfum entêtant, mais elle est fausse, artifice, paillette embrasée qui brûlent vif plutôt que de ravir les yeux qui s’émerveillent. Elle est restes d’enfance, femme adolescente à l’ingénuité volée, elle est perdue, guerrière de sable sur un champ de mines, de ruines ; elle est fiel, elle est fureur, elle est querelle et rancœur, malveillance et ressentiment — elle est destruction, et s’est rendue première victime de sa corrosion.


Dernière édition par Yûki le Lun 7 Aoû - 2:20, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: dance with the devil ((serah))   dance with the devil ((serah)) Icon_minitimeJeu 27 Juil - 14:35

Histoire ;
born to be — Serah n’avait jamais manqué de rien. A peine née était-elle devenue la princesse de son père, le trésor de sa mère. L’argent coulait à flots, l’amour aussi — les billets plus que la tendresse, toutefois — et c’était dans les riches quartiers de Nahuel qu’elle avait découvert le monde, grandissant dans l’insouciance touchante qu’ont tous les enfants. De premiers mots en premiers pas, elle prit chaque fois connaissance d’un peu plus de cet univers étrange dans lequel son père évoluait — et qu’elle ne comprenait pas encore. Elle les voyait souvent, ces hommes qui entraient, qui serraient la main du patriarche alors qu’il les toisait, d’un mélange d’arrogance et de pitié qui déformait ses traits de telle sorte qu’ils en devenaient un peu moins beaux, aux yeux de la gamine accrochée à la rambarde des escaliers, et qui observait la scène de loin, sans jamais y prendre part. Parce qu’elle se tenait à l’écart — de peur, certainement, de déranger — elle n’entendait jamais les conversations qui se faisaient à voix basse. Il invitait ces hommes qu’il n’aimait pas à boire, un thé, un café, et, même s’ils savaient le dégoût qu’ils inspiraient, ils acceptaient, un sourire poli aux lèvres. Serah était chaque fois fascinée par l’étrangeté de ces échanges, qui puaient la comédie ; pire, l’hypocrisie.

Lorsqu’ils disparaissaient dans le grand salon, elle se relevait et s’en allait en courant à l’étage rejoindre sa mère, qui patientait dans la chambre parentale. Allongée sur le grand lit à baldaquin, elle lisait, et ne levait les yeux des lignes d’encre que lorsque sa fille grimpait à ses côtés, froissant les draps sans considération aucune. « Maman ! Pourquoi tu ne vas pas dire bonjour aux messieurs ? » demandait-elle souvent, comme si la réponse pouvait être différente de la fois précédente. « Je n’aime pas ces gens, tu le sais. » La petite réfléchissait, assise en tailleur sur le lit. « Mais, maman ! Tu ne les connais pas ! » Touché, coulé, la mère ne pouvait s’empêcher de rire. Elle posait son livre, et attirait sa petite fille à elle pour la blottir dans ses bras. « Ça n’est pas important. » Alors, Serah se taisait ; Serah la croyait. Ça n’était pas important.

Elle l’avait crue, jusqu’à ce que l’orage éclate. Parce que les autorités commençaient à douter, parce que l’affaire devenait un peu trop dangereuse. Sa mère hurlait, pleurait et, la gamine, assise à même le sol contre la porte close, écoutait ce qui se disait de l’autre côté. Dans l’obscurité du hall d’entrée, seulement éclairé par la raie de lumière qui filtrait de sous la porte, Serah avait peur. Elle n’avait jamais connu ça, quelquefois elle avait eu peur — lorsqu’elle avait appris à rouler en bicyclette, lorsqu’une araignée croisait sa route, les orages qui grondaient si fort qu'elle s'en bouchait les oreilles jusqu'à ce qu'il passe, ou les premières fois qu’elle avait dû dormir sans laisser la grande ampoule de sa chambre allumée. Mais ça n’était jamais si terrible, si fort que cette fois-ci ; cette fois-ci, ça prenait aux tripes, ça lui donnait la sensation d’étouffer, et ça laissait couler sur ses joues des larmes salées dont elle ne comprenait pas la source. Comme si, au fond, elle savait déjà ce qu’elle ne voulait pas entendre.

Les semaines qui suivirent furent de vide et de silence ; sa mère ne lisait plus, et son père ne prenait plus la peine de camoufler la répulsion qu’il éprouvait à l’égard de ces hommes qui se traînaient jusqu’à lui — toujours les mêmes visages, les mêmes yeux vides, avides, les mêmes voix brisées qui enchaînaient trop vite les mots, avec empressement, nervosité, comme si leur vie était en jeu. Toujours, Serah était fascinée. Mais, maintenant, elle ne courait plus jusqu’à la chambre de sa mère, préférant s’isoler dans la bibliothèque des heures durant lorsqu’eux s’enfermaient.
Chaque fois qu’elle quittait le couvert de sa résidence pour l’école, elle craignait qu’en rentrant, le soir, quelque chose ait changé, d’une telle façon que retourner à ce qui était auparavant soit à jamais impossible. Alors, chaque fois qu’elle revenait, elle faisait avec soin le tour de chacune des pièces, s’assurant qu’aucun objet de valeur ou même simple bibelot n’avait été dérobé ou déplacé, s’accrochant à l’idée que la bâtisse était comme un tableau inchangé, une nature morte qu’elle se plaisait à contempler, figée dans le temps. Elle n’avait pas encore compris, Serah, que tout était déjà différent ; elle n’avait pas compris, encore, et elle ne réalisa que lorsque les procédures s’enchaînèrent tout à coup, la chahutant de part et d’autre. C’étaient des mots compliqués qu’utilisaient les adultes, et qui la dépassaient, c’étaient des regards insistants et des silences suffocants. C’était l’impression que, tout à coup, son monde s’effondrait, sans qu’elle n’en sache encore très bien le pourquoi du comment.

L’on accorda la garde à sa mère dés lors qu’elle trouva un appartement au centre ville, financé par son emploi d’esthéticienne, l’on autorisa le père à l’accueillir une fin de semaine sur deux et la moitié de chaque période de vacances, et Serah fut promenée d’un endroit à un autre. Deux foyers, deux familles — deux maisons vides. Le silence lui pesait lourd sur ses frêles épaules d’enfant, les noms et les souvenirs étaient tabous, maman parlait d’une boîte secrète dans un coin de la tête qu’il ne fallait plus ouvrir, et papa souriait d’une grimace maladroite, empruntée, en remplaçant les questions et les supplications par une nouvelle sucrerie, un nouveau jeu, quelques minutes de plus en compagnie de sa fille, pour ne pas retourner trop vite à l’accalmie tumultueuse qui emplissait la bâtisse qui l’avait vue fonder une famille à présent volée en éclats.

Il y eut d’autres cris, mais pas de larmes ; rien que du venin, des insultes que Serah s’efforçait de ne pas écouter, de ne pas entendre, mains contre les oreilles, yeux fermés. Comme si sa volonté de petite fille pouvait être suffisante pour changer les choses, comme s’il lui suffisait de prier à voix basse pour que le monde tourne de nouveau comme elle l’entendait, comme elle le connaissait. Comme s’il lui suffisait d’y croire un peu, de se pincer le bras pour s’éveiller comme on s’éveille d’un vague cauchemar. Comme si c’était aussi simple, de retrouver sa vie d’antan et le bonheur d’avant.
Lorsque les cris se turent enfin, il ne lui restait plus qu’une seule maison, qu’une seule famille. Déchirée.

C’était toujours cette même bâtisse, bien trop grande pour elle, seule avec son père et la domestique, Anna — une jeune femme au visage de poupon, aux mains tendres et au parfum léger, comme de la fleur d’oranger, en plus diffus, une pointe de vanille pour relever l’effluve sucrée qui stagnait dans l’air longtemps après qu'elle se soit attardée dans l’une des pièces.
Tout serait resté un peu morose, s’il n’y avait pas eu cette gamine, un jour, l’épaule sous la main d’Anna, le regard prudent, l’air défiant, à peine plus jeune que l’enfant aux boucles rousses. Meredith. C’était sa fille, celle de la domestique, et le père était parti, les avait laissées, elles n’avaient plus où loger et réclamaient hospice au patriarche des Ziegler. Il le leur accorda, sans même éprouver la moindre once d’hésitation — il appréciait Anna, il lui devait certainement bien des choses dont Serah ne fut jamais mise au courant, et c’était comme une vieille histoire de dette qui semblait trouver son compte entre eux deux, lorsque l’accord fut conclu qu’elle logerait, avec sa fille, dans le foyer à qui manquait une mère.

Les premiers temps, les deux jeunes s’observèrent en chiens de faïence, comme deux bêtes forcées de cohabiter, sans que jamais l’une n’ose s’approcher de l’autre — de crainte d’être mordue, certainement. Meredith retenait son souffle lorsque Serah se glissait dans la pièce où elle-même avait trouvé refuge, et elle prenait l’intruse en filature jusqu’à la chambre qu’on lui avait attribuée, comme pour s’assurer qu’elle ne s’aventurait pas plus loin, qu’elle se tenait aux règles et n’y dérogeait pas. Chaque fois que la porte se refermait sur l’inconnu qui vivait sous son toit, la petite maîtresse des lieux s’en retournait à ses affaires, comme si tout ça ne comptait plus. Quand elle entendait de nouveau du bruit, à l’étage, elle gravissait les escaliers quatre à quatre, et revenait à sa surveillance pesante qui, au bout de quelques jours à peine, eu tôt fait avoir raison de la résistance de Meredith.

« Arrête de me suivre ! » avait-elle tout à coup hurlé, au détour d’un couloir, figeant Serah qui se tenait à tout juste quelques pas de là, paupières papillonnantes, boucles emmêlées sur les épaules. « T’es trop bizarre ! » La rouquine haussa vaguement les épaules, un air suffisant imprimé sur les traits. « Je m’en fiche ! Comme t’es chez moi tu dois me rendre des services comme ta maman elle fait à mon papa ! » Son interlocutrice ouvrit des yeux surpris, choqués, avant que ses sourcils ne se froncent tout à coup. « Mais je te connais même pas ! » Serah posa ses mains sur ses hanches, déjà princesse de son état, alors même qu’elle n’avait pas encore dix ans. « Je m’appelle Serah, et maintenant t’es ma domestique comme ta maman j’ai dit ! Et comme tu dois me faire plaisir, tu vas venir jouer avec moi ! » Meredith, en face d’elle, se frotta les yeux de ses deux poings serrés, comme si elle rêvait et cherchait à se réveiller d’un songe un peu étrange, dont il était difficile de s’extirper tout à fait. « Mais t’es bizarre ! »
Pourtant, elle ne lui fit pas la guerre lorsqu’elle lui tourna le dos et l’invita à la suivre jusqu’à sa chambre, et elle ne nia plus jamais être sa domestique, puis qu’elle se fit avant tout une amie dans un monde où l’affection n’était toujours donnée qu’à moitié par la faute aux absents dont les fantômes emplissaient chaque espace vide qu’elles se mirent en tête de combler ; de rire, de vie, d’insouciance.

born to grow — Elle l’observait, avec de plus en plus d’intérêt ; ce père qui recevait des inconnus aux traits affamés, et dont elle croisait les regards inquisiteurs, de temps à autres. Dans leurs prunelles, c’était de la honte qu’elle devinait, de la peur, de la répugnance — ils se détestaient sans que personne n’ait besoin de le faire à leur place. Ils se suffisaient à eux-mêmes, avec leur rancoeur, leur dégoût, leurs tendances à l'autodestruction. Ils étaient les marionnettistes, les cordes usées, les pantins et le scénario tout à la fois, et elle comprenait lentement que son père n’était rien d’autre qu’un élément perturbateur, et que c’étaient quelques péripéties en sachet qu’il leur donnait en échange de billets soigneusement comptés. Il n’était pas grand chose, en vérité, sinon le piment de l’histoire qui tient les spectateurs en haleine, désireux de connaître la suite de l’intrigue et d’en savoir le dénouement — ici, souvent, c’était la mort ; mais Serah l’ignorait encore.

Lorsqu’ils s’enfermaient, elle ne s’éloignait plus de la porte close : elle abaissait la poignée, elle s’invitait dans la pièce et s’installait sur l’un des fauteuils, sans que son père, jamais, ne cherche à l’en déloger. Elle écoutait les conversations des grands, leurs mots compliqués et leurs voix basses, comme s’il s’agissait de confidences, et elle se sentait fière — fière de ne plus être seulement une enfant qu’on laisse de côté pour la préserver. Elle se faisait silencieuse, observait simplement — les yeux hagards, certaines réponses qui tardaient à venir, comme si ces hommes n’étaient jamais tout à fait là, toujours un peu ailleurs, leurs mains nerveuses aux ongles souvent rongés, autant d’indices traîtres de l’agitation qui les secouait, de la fébrilité qui les saisissait. La plupart avait les yeux cernés, le teint cireux — comme s’ils dormaient peu, de nuits agitées et plus épuisantes encore que des heures entières de veille — et c’étaient autant de détails que la gamine s’amusait à noter, chaque fois qu’ils venaient — revenaient, pour certains.

Elle avait fini par comprendre, à force d’écouter et d’observer, que ceux qui, tout à coup, cessaient de venir, étaient souvent ceux qui avaient été vaincus. C’étaient ceux pour qui l’histoire ne s’étaient pas terminée comme elle l’aurait due, ceux que l’overdose avait fauchés sans qu’ils n’y soient préparés — quand ce n’étaient pas des suicides. C’étaient ceux qui avaient pris trop de risques, ceux que la drogue avait fini par consumer de l’intérieur — ça commençait par les veines ou les poumons, et ça finissait par le coeur, après que tout le reste ait été réduit en cendres comme à l’acide. Elle s’était demandée, quelquefois, si c’étaient des remords qui emplissaient les yeux de son père lorsqu’il apprenait que ses produits avaient tué — elle apprit bientôt que c’était une plaie que d’être humain si l’on s’engageait à détruire la vie d’autrui pour rendre la sienne plus confortable.
Ça n’était pas le regret, pourtant, qui étreignait le coeur de l’homme, destructeur par profession — c’était la pitié.

S’il ne l’avait jamais écartée de ses affaires, à partir du moment où elle s’était mis en tête de savoir ce qu’il se passait à l’abri des portes fermées, son père ne l’avait jamais non plus incitée à s’engager sur la voie que lui-même avait empruntée, bien des années auparavant. Lorsqu’elle avait esquissé quelques pas dans l’obscurité, il l’avait mise en garde, lui avait simplement assuré qu’un retour en arrière était rarement envisageable — c’était de ces choses qui poursuivaient une vie entière, même lorsque l’on y renonçait enfin. Elle avait planté ses prunelles céruléennes au fond des identiques de son père, farouche et déterminée. « Je veux en être, t’as pas à être tout seul. » Il avait capitulé, et elle avait fait le saut de l’ange dans ce qui n’était pas pour elle, pas son monde de princesses et de promesses heureuses.

Elle avait pourtant pris ses marques, avec l’aisance de ceux qui n’ont plus rien à apprendre, ceux qui ont ça dans le sang. Elle ne s’occupait pas des intoxiqués qui se traînaient jusque chez eux — ceux-là relevaient des compétences de son père, c’étaient ceux qui la jugeaient quand ils l’apercevaient, ceux qui ne discernaient en elle qu’une enfant, qu’une fille ; et les filles ne traînent pas dans les entreprises d’opiacés. Elle ne démentait pas, ne se défendait jamais des accusations qu’ils soufflaient à voix basse, des regards mauvais qu’ils lui jetaient — elle continuait de les observer, d’apprendre ce qu’ils étaient au travers de leurs erreurs et de leur pénitence. Elle veillait sur le bon déroulement des échanges, s’autorisait un rire ou un soupir las lorsque la situation s’y prêtait. Sinon, ce fut dans les soirées de la jeunesse débauchée qu’elle commit ses premiers méfaits, avec autant de fébrilité que de fascination.
Elle soufflait à demi-mot les effets des pilules qu’elle détenait, elle laissait les adolescents qui l’entouraient chahuter, se provoquer les uns les autres pour se pousser à consommer, puis ses yeux luisaient d’un éclat triomphant lorsqu’ils cédaient finalement, et avaler les cachets psychoactifs d’une gorgée de bière. Les pilules devinrent une habitude et, lorsqu’elle vint, un soir, avec quelques sachets de poudre grisonnante, ça n’était plus rien d’autre que le début de la fin. Elle y avait pris goût, à la destruction d’autrui, pris goût à la lecture du trouble dans leurs prunelles démentes, saisies par la drogue. Ça lui plaisait, de les voir sombrer et revenir auprès d’elle le soir d’après, comme revenaient ces spectres aux portes de la mort auprès de son père.

Ce fut lors d’une de ces innombrables soirées — auxquelles elle fut de plus en plus fréquemment invitée, au vu du pouvoir qu’elle avait au creux des mains ; au fond de son sac — qu’elle céda finalement à la curiosité, à l’envie de savoir, elle aussi, quel était cet étrange Paradis dont ils parlaient tous, qu’ils désiraient, qu’ils recherchaient dans ce qu’elle leur vendait. C’était juste une fois, pour essayer, et elle avait mesuré son coup — elle n’avait pas été suffisamment stupide pour oublier les effets de ses propres produits, les addictions dont elle prenait potentiellement le risque, les doses qui pouvaient être mortelles. C’était juste une fois, calculée autant que possible, pour ne pas déraper, pour ne pas être prise à son propre piège ; juste une fois, d’une de ces substances qui ne la rendraient pas esclave à la première prise, qui ne la tueraient pas si elle savait s’y prendre.
Elle n’avait même pas hésité, même pas tremblé avant d’inspirer la fumée toxique, qui en avait brisé tant d’autres avant elle. Il avait suffit de quelques inspirations, et puis de quelques minutes avant qu’elle ne l’entrevoie — ce nirvana factice né d’artifices funèbres.

Elle était devenue le centre d’intérêt de son collège — tout du moins, celui de la jeunesse gâchée qui le fréquentait — et ce petit rôle lui plaisait. Elle était l’élève soigneuse dont les bonnes notes s’enchaînaient sur les livrets scolaires, tout à la fois qu’elle était l’une des adolescentes les moins fréquentables de l’établissement — et pourtant, elle était indispensable, indispensable à ces types, à ces chiens qui réclamaient leur pitance en regards coulés dans sa direction, entre deux cours ou lorsque la dernière heure mourrait en une sonnerie stridente qui les précipitait en direction de la sortie. Et ç’aurait pu continuer, aussi simplement que c’avait commencé, s’il n’y avait pas eu ce soir-là, ce soir qu’elle observait les échanges méticuleux de son père, ce soir qui aurait été comme tous les autres si les esprits ne s’étaient pas échauffés, si le ton n’était pas monté, si les poings ne s’étaient pas serrés. Menaces, insultes, elle s’était levée de son fauteuil, usé au fil des années, en vociférant — regard haineux, colère au creux du ventre. « Dégagez ! »
Ils n’étaient pas partis.
Ils n’étaient pas partis, mais l’un d’eux tout à coup s’était effondré, les yeux révulsé, le souffle coupé, pris de convulsions à même le sol. Il y eut un hoquet de surprise, un autre de terreur, un murmure d’hésitation avant que Serah ne recule d’un pas, comme si elle venait d’être frappée en pleine poitrine. Tout s’arrêta, aussi vite que c’avait commencé — et les intoxiqués prirent la poudre d’escampette.

Un instant plus tard, ce fut elle qui s’écroula, un brasier allumé dans chaque parcelle de son corps et, après avoir effleuré la félicité conférée par les drogues, c’était l’Enfer sur Terre qu’elle côtoyait. Contrecoup, d’une chose qu’elle venait d’infliger, et qu’elle ne comprenait pas ; retour, revers, qu’importe le nom, elle souffrait, et c’était comme si ses propres chairs se consumaient d’elles-mêmes. Un don, l’on affirma plus tard, lorsque la douleur se fut tue, lorsque le choc fut dissipé, lorsque l’éclat de ses yeux se refit plus vif qu’il ne l’avait été jusque là. Une plaie, qu’elle affirma, rictus aux lèvres, mains serrées autour d’une tasse brûlante. A cet âge-là, elle ne savait pas encore, elle n’y pensait pas ; le champ des possibles, lorsque l’on avait hérité d’un pouvoir comme le sien.

Lorsqu’une nouvelle année débuta, Serah fit ses premiers pas dans un monde qu’elle n’avait jamais côtoyé — tout du moins, jamais directement. Elle savait la guerre qui faisait rage à Astrophel, elle avait déjà allumé la télévision pour observer leurs combats organisés, question de gloire et d’orgueil qui l’amusaient autant que ça la lassait, leur bordel organisé. Il y avait certains profils qu’elle appréciait plus que d’autres, certains pseudos qu’elle avait retenus parce que leur don, leur performance l’avait marquée, mais c’était toujours secondaire. Alors, lorsqu’elle était entrée à l’Académie qui regorgeait d’êtres dotés, c’était étrange — les premiers pas dans un conflit auquel elle ne comptait pas prendre part. C’était des héros qu’on essayait de former, les antagonistes au pire, des pantins parfaits aux mains des sponsors, aux yeux du public, et elle ne voulait pas en être, de cette machine infernale. Alors, elle s’était faite discrète les premiers temps — silencieuse, elle se contentait d’observer, d’apprendre des autres sans qu’ils n’apprennent jamais rien d’elle.

Les jeunes connaissaient son nom, doutaient — ça n’était qu’une coïncidence, un homonyme, forcément, pourtant l’on n’osait pas approcher, parce que l’on savait qu’il n’en était rien. Elle était la fille de, la fille de Salvatore Ziegler, la fille d’un type que l’on connaissait forcément lorsque l’on fréquentait les soirées de la belle jeunesse ou celles de la plus souillée. Il y en avait de tous les horizons, ici, des semblables à pouvoir auxquels elle n’accordait pourtant que peu d’importance — parce qu’ils étaient tous les mêmes, bêtes curieuses au contact d’un objet différent enfermé dans leur enclos. Ils ne lui adressaient que peu la parole, et l’un des intrépides avait une tignasse plus vive encore que la sienne, et deux prunelles terre de sienne aux reflets sanglants sous les éclairages divergents. Daemon Merryfall. Le nom l’avait fait sourire, la première fois ; c’était comme si c’était écrit, elle dans son sang, et lui dans l’assemblage de lettres que l’on considérait comme identité propre : s’ils étaient étaient du monde des biens nés, des biens pensants, ils n’étaient pas de ceux qui subsistent dans la lumière, et la constatation l’avait amusée.
Peut-être était-ce l’une des raisons pour lesquelles elle l’avait laissé l’approcher, peut-être était-ce l’une des raisons pour lesquelles elle ne s’était jamais dérobée face à lui, peut-être aussi était-ce l’une des raisons pour lesquelles elle n’hésita pas un seul instant à répondre par la positive à son invitation à l’une de ces énièmes soirées qu’elle fréquentait déjà depuis longtemps.

Pourtant, elle n’avait jamais vu ça avant. Peut-être parce qu’ils étaient plus âgés, parce qu’ils approchaient de la majorité, et qu’ils se sentaient grands, qu’ils se sentaient l’envie d’être adultes alors même qu’il leur restait quelques années à ne pas penser, à ne pas s’inquiéter. Ils étaient minables, affamés comme des chiens efflanquées, et certains n’en étaient certainement pas à leur coup d’essai. Ce soir là, la monnaie et les billets verts s’amoncellèrent on ne peut plus vite. D’infimes dose offertes pour les premiers, pour essayer, pour inciter les autres, les suivantes payantes pour qui désirait planer. De toute la soirée, rares furent ceux parmi les acheteurs qui ne finirent pas à l’état d’épave humaine — et Serah se riait du spectacle, Daemon à ses côtés ; l’un de ces singuliers qui n’avaient fait qu’essayer, qui ne s’étaient pas laissés emporter par les défis des uns, des autres, ni par le besoin de prouver quoique ce soit à quiconque. Peut-être était-ce là l’une des raisons pour lesquelles, encore, elle considéra sa compagnie comme agréable, désirable même, au point de bientôt le rejoindre d’elle-même dans les couloirs de l’Académie plutôt que d’attendre patiemment que lui la trouve, au milieu de ces crève-la-faim qui n’attisaient jamais sa curiosité, son intérêt.
Pas comme lui le faisait, tout du moins.

born to laugh — Ce fut l’une de ces nuits qu’elle passait chez Daemon qu’elle eut son premier vague contact avec celle qui n’avait jusqu’ici été qu’un nom lâché de temps à autres, un spectre au milieu des conversations qui s’échangeaient. C’avait commencé par un sommeil dérangé, une sonnerie stridente qui avait arraché la rousse aux bras de Morphée, à une heure déjà bien trop avancée pour que ce soit quelqu’un d’honnête qui se soit traîné jusqu’à l’appartement.            
Lorsqu’elle entrouvrit les paupières, encore lourdes de sable, Daemon se glissait déjà hors des draps pour renvoyer l’importun d’où il venait. Elle remonta la couverture sur elle et ferma les yeux, écoutant vaguement ce qu’il se passait dans l’entrée. Pourtant, bien vite, elle se redressa sur le matelas, chassant les cheveux emmêlés qui lui collaient au front : ce qu’elle entendait n’avait rien d’une conversation typique entre un type tellement ivre qu’il venait sonner à la première porte qui lui paraissait un peu plus distrayante que les autres et le locataire qui résidait de l’autre côté de ladite porte. C’était une voix de femme — de fille, sans doute pas encore adolescente —, c’étaient des sanglots, c’était une douleur lancinante que même Serah parvenait à éprouver, de là où elle était, et sans rien savoir — le discours étaient décousu, les hoquets rendaient le tout brouillon et maladroit, la distance achevait de dévorer les mots qu’elle aurait pu saisir si elle avait été plus proche —, c’était la peur, la détresse, c’était une gamine ébranlée qui demandait à l’aide et, instinctivement, la Ziegler su qu’elle n’était pas concernée. Ça n’était pas son sang, ça n’était pas son histoire, aussi resta-t-elle un long moment à l’écart, le visage seulement éclairé par l’écran de son téléphone portable.

Il fallut qu’elle soit certaine que l’appartement s’était de nouveau plongé dans le silence avant qu’elle ne s’arrache aux draps et enfile les vêtements dont elle s’était délestée, plus tôt dans la soirée. Alors, seulement, elle sortit sans un bruit de la chambre, et se glissa avec tout autant de discrétion jusqu’à celle dont la porte était entrouverte à quelques pas de là. L’espace d’un instant, Serah se prit à observer la scène qui s’offrait à ses yeux : celle de Daemon, la main légère, tendre, sur le front de la jeune rousse paisiblement endormie. Les silhouettes étaient plongées dans un semblant d’obscurité, tant que ce qui s’offrait à elle paraissait plus attendrissant encore, camouflé par le voile de l’intimité, et elle ne pu réprimer l’ombre du sourire qui s’installa sur ses lèvres. « Ta petite soeur ? » Le Merryfall leva les yeux dans sa direction, et elle devina ses prunelles là où la lumière du couloir dans son dos venait se refléter. « Oui. » Oui. C’était elle, Lyria, celle dont elle avait entendu parler sans jamais savoir vraiment l’imaginer, sans jamais l’avoir vue auparavant. Du peu qu’elle avait pu en distinguer dans l’obscurité, avant que Daemon ne les fasse sortir et ne ferme la porte pour laisser la jeune fille à son sommeil reposant, elle lui ressemblait, à ce frère tout à coup préoccupé.

Ses mains remontèrent le long des bras de l’adolescent qui se glissaient sur sa taille et, en sentant son souffle contre son cou, elle ne pu réprimer le long frisson qui remonta son échine « J'vais peut-être avoir besoin de ton aide. » Elle fronça les sourcils, et son silence dura sans doute une seconde de trop pour qu’il ne paraisse pas, sinon méfiant, au moins teinté d’une légère appréhension. « Ce que tu voudras, tant que j'y trouve mon compte. » Les intérêts, être certaine de ne pas perdre son temps ; y songeait-elle véritablement à cet instant-là, alors qu’elle laissait courir ses doigts sur le dos de son ami, le coeur en proie à une certaine forme d’inquiétude qui n’était que le reflet de celle qu’elle devinait s’esquisser dans la voix de Daemon ? Elle-même ne le jurerait sans doute pas. Elle recula au terme de quelques instants, concluant la nuit écourtée de ce qui n’était plus tant une promesse qu’une d’habitude, un automatisme pour l’un comme pour l’autre, une finalité immuable : « On se retrouve tout à l'heure. » Et elle s’effaça, se tint au silence jusqu’à ce qu’un jour, leur vie ne prenne de nouveau une inclinaison différence.

C’était un changement presque imperceptible, quand bien même il s’était fait dans le sang et la mort d’un homme. Ça n’était pas la première fois que Serah était confrontée aux méfaits de la faucheuse — combien de décès aurait-elle pu revendiquer, après tout, de la suite d’overdoses provoquées par les produits qu’elle refilait en douce ? —, mais c’était la première fois qu’elle voyait un cadavre encore tiède et baignant dans son sang, au beau milieu d’un salon maculé d’un carmin poisseux à l’odeur étouffante. Elle aurait presque eu un haut le coeur, si elle avait été douée d’à peine plus de sensibilité qu’elle n’en avait hérité. « Une expérience, hein… » avait-elle soufflé à l’instant où elle avait constaté l’étendue des dégâts, de l’immondice qui s’étalait sous ses yeux. « J’ai toujours su que t’avais des délires étranges, Daemon. » C’était un sarcasme lâché dans le vide, dents serrées, sur le ton du dépit et de la consternation. Pour autant, elle l’avait aidé, à se désencombrer du corps là où l’on ne le retrouverait pas, puis à débarrasser la pièce de la moindre trace de sang qui pourrait subsister. Et, jamais, que ce fut par crainte ou par pudeur, elle ne demanda d’explications précises. Ce fut le regard qu’elle posait sur Lyria qui devint différent, un peu plus méfiant, inquisiteur, quand bien même elle le détournait chaque fois que la jeune levait les yeux dans sa direction.

Elle aurait sans doute continué ainsi un long moment encore si, à force de la côtoyer — puisqu’elle résidait à présent à temps plein chez Daemon, et que l’un et l’autre se voyaient fréquemment jusqu’en dehors de l’Académie, Serah toujours la bienvenue dans l’appartement — elle ne s’était pas finalement entichée de la jeune Merryfall. C’avait commencé par quelques regards un peu plus distraits et moins indiscrets pendant qu’elle jouait sur sa console, les cheveux relevés en un chignon mal fait, les vêtements si peu assortis qu’ils détonnaient des tenues qu’elle l’avait déjà vue porter à l’extérieur, depuis qu’elle la connaissait. Puis, c’étaient devenus quelques remarques, quelques échanges entre l’une et l’autre et, peu à peu, la Lyria qu’elle craignait quelque peu était redevenue cette gamine captivante, attachante, à côté de laquelle elle venait s’asseoir pour lui réclamer le droit de tresser ses cheveux ou d’y essayer quelques coiffures un peu plus sophistiquées, pour son bon plaisir et parce qu’elle avait une crinière à en faire pâlir plus d’une d’envie.  

En contrepartie de l’aide apportée par Serah à la suite de ce qu’elle avait intérieurement renommée l’expérience funèbre, Daemon offrit de son temps et de son charisme à l’affaire des Ziegler. Bien vite, il gagna l’estime et la confiance du paternel, du même coup que l’adolescente lui trouvait toujours plus d’attrait, à ce jeune homme qui se démarquait, qui la fascinait depuis le premier jour et un peu plus à mesure que les jours défilaient. C’allait crescendo, quand bien même leur relation ne relevait-elle encore que de l’amitié — amitié qui s’attisait et s’étiolait au profit d’autre chose d’un peu différent, d’un peu plus fort, au fil d’affaires macabres qui n’étaient qu’effets quotidiens dans des domaines si peu recommandables que ceux dans lesquels ils voguaient, toujours ensemble au travers des unes comme des autres. Ils avaient quitté l’Académie, et s’étaient chacun lancés dans un domaine d’études différent — la pharmacologie pour lui, la psychologie pour elle ; plus tard, elle en viendrait à se diriger plus avant dans la criminologie, qui l’intriguait depuis longtemps déjà, quand bien même c’était sans doute assez farfelu pour une criminelle d’intégrer ces cours-ci, c’était un peu comme narguer la justice et l’ordre des choses, allez savoir — sans jamais se perdre de vue. Bien au contraire, leur relation tendait encore à progresser et, si elle se rapprochait à chaque instant qui passait un peu plus de Daemon, de son ami, elle n’oubliait pourtant pas le rôle qu’elle s’était octroyé, le titre qu’elle s’était elle-même décerné au sein de l’entreprise de son père, et qui l’emportait encore sur le reste, l’attirant quelque fois jusqu’au danger sans même qu’elle ne s’en rende compte.

Comme l’un de ses jours, lorsque l’on entendit comme une rumeur sourde qui se propageait et que Serah, douteuse quant à la véracité de ce que l’on avançait, remonta jusqu’à son père pour obtenir ce qu’elle désirait : des réponses, du concret. Il lui en donna, il lui en offrit, parés de mots crus et francs qu’il ne cherchait pas à déguiser pour les rendre moins difficile à avaler. Ses clefs s’agitaient entre ses mains, se heurtaient à la table de verre en un son irrégulier, qui eut tôt fait agacer sa fille ; sous le regard furibond de cette dernière, il cessa tout mouvement pour se concentrer sur ce qu’il disait, plutôt que sur la nervosité qui le saisissait. Un demeuré en avait trop dit et, s’il n’avait pas tout à fait vendu la mèche, on les soupçonnait. Elle grinçait des dents, les deux mains posées à plat contre la surface translucides ; penchée en direction de son géniteur, elle persiflait. « T’arrêterais de récupérer tous les clébards affamés, aussi ! Tu me l’as dit toi-même, d’éviter ceux qui changent de fournisseur tous les quatre matins, ils balancent les noms trop facilement ! » Il se défendait des accusations : qu’en savait-il donc puisqu’il il ne se renseignait pas sur les antécédents de tous ses clients, il ne pouvait lire pas leurs pensées, pas plus qu’il ne pouvait les forcer à leur être fidèles.
Ce fut un long silence qui fit seul écho à ces derniers mots, avant qu’un sourire fugace ne s’étire, sur les lèvres de l’adolescente. C’était mauvais, c’était inquiétant ; l’éclat de ses yeux était une damnation pour quiconque le discernait. « Bien sûr que si, tu peux les forcer. » L’homme la toisa, l’espace de quelques secondes interminables. « Et veux-tu bien me dire de quelle façon ? » Elle s’inclina un peu plus encore en direction de son père et, lorsqu’elle parla, le ton fut si glacial qu’il sentit un frisson remonter le long de son échine. « Terrorise-les. »

C’était elle qui s’était octroyé le droit de descendre en ville, un nom ainsi qu’un portrait au coin de l’esprit. L’homme qui les menaçait était une sorte de monsieur tout le monde, un individu sans histoire, l’un de ceux sur lesquels on ne s’attardait jamais. Ça n’était pas l’archétype des vainqueurs ; il avait le regard vide de tous ces écorchés qui venaient frapper à leur porte pour quémander leur échappatoire, paradis toxique dont ils raffolaient. C’était cher payé les trois heures au dessus du ciel.
Le lieu de rendez-vous était un de ces innombrables HLM des quartiers de Scitlali, un peu trop près, à son goût, de la zone de non-droit. C’était un endroit qu’elle détestait, parce qu’elle ne s’y sentait jamais en sécurité ; ici, son nom ne la protégeait pas. Pire, il la transformait en proie de choix, parce qu’elle était tout ce que les résidents de ce ghetto ne seraient jamais, parce que la roulette russe de l’existence lui avait accordé une vie facile, dans laquelle elle évoluait sans accroc, l’argent débordant à ne plus savoir qu’en faire — pourtant, les Ziegler y trouvaient toujours une énième façon de le dépenser, s’ils ne l’épargnaient pas. Carte dorée, cliquetis aux poignets, fringues repassées alors même que c’étaient celles qu’elle ne portait que lors de ses descentes dans les districts les moins fréquentables, elle empestait les beaux quartiers et les petits bourgeois à plein nez. Ici, ça répugnait les envieux.
Heureusement, étrangement, ça n’était pas dans ces allées-ci que se trouvaient la plus grande part des consommateurs qui achetaient chez eux — c’était à Haylen, Nahuel, Saten même, que l’on trouvait la majorité des intoxiqués. Parce qu’ils avaient l’argent, et les soirées si ambitieuses qu’elles n’étaient rien s’il n’y avait pas quelques sachets de poudre ou cachets colorés qui circulaient. Jeunesse dorée, aux veines fumées.

Elle poussa la porte de l’un des immeubles, Meredith sur les talons, et grimpa les escaliers avec précaution, en prenant soin de compter les étages — aucun ascenseur, et une peinture écaillée sur les murs qui laissait à désirer. Ce fut face à la première porte du cinquième qu’elle s’immobilisa, les sourcils froncés et le regard empli d’appréhension. Si ce n’était pas la première fois qu’elle se chargeait elle-même des échanges, elle préférait s’en tenir à ce qu’elle connaissait de près : les fêtes étudiantes, qui lui permettaient d’écouler ses provisions sans le moindre des soucis. Elle inspira et, l’air tout à coup plus déterminé, elle entra dans l’appartement dont la porte d’entrée avait été laissée entrouverte. Dans son dos, elle verrouilla soigneusement le loquet, sous le regard préoccupé de Meredith. Elle n’avait rien dit de ses plans, une nouvelle fois, et la domestique s’inquiétait. Serah esquissa l’ombre d’un sourire qui se voulait rassurant, avant que, dans son dos, une voix n’éclate, forte, mais comme hésitante. « Se...rah ? » La rousse se retourna, un sourire aux lèvres, pour faire face à l’intoxiqué — elle avait toujours été plus douée que son père, pour étouffer le mépris qu’elle éprouvait à leur égard. « En personne. Je suis en retard ? » Il secoua la tête, les mains levées en un vague signe sans véritable sens. « Pas du tout, non. Fais comme chez toi, enfin… C’est pas vraiment chez moi non plus, après tout. » Elle se plia à la comédie, fit mine de rire à ce qui ressemblait à une plaisanterie bancale et maladroite. « De ce que je sais, dans ce bâtiment il n’y a plus aucun locataire pour venir te déloger. » Nouvel échange de sourires, avant qu’elle ne vienne s’asseoir au bord d’un sofa poussiéreux, déchiré de part en part, au beau milieu de ce qui paraissait avoir été un salon chaleureux, fut un temps. Rudimentaire, mais accueillant.

Elle conversa, échangea des banalités avec cet homme — Riley, se souvenait-elle — pendant que, sous ses yeux même, il s’injectait le poison qu’elle venait de lui vendre. Les billets encore entre ses doigts, elle ne parvenait pas à détacher ses yeux de la scène, comme fascinée par la minutie avec laquelle il se détruisait. L’on aurait mit autant de soin à peaufiner le fruit d’un labeur de plusieurs années, qui nous tiendrait à coeur plus que tous les autres. Ce ne fut que lorsque le sang perla de l’infime plaie ouverte, une fois l’aiguille retirée de la veine, qu’elle releva les yeux en direction du visage de l’homme. « Ça faisait un petit moment que tu n’avais pas réclamé nos produits, dis-moi. On t’a connu plus régulier… Un souci, une tentative d’avorter tes consommations ? Ou bien, t’as peut-être été voir ailleurs ? » Il s’était figé, dés qu’elle avait commencé à parler. Parce que son ton s’était fait plus mielleux, plus mauvais — comme si elle ne disait pas tout, comme si elle en savait bien plus que ce qu’elle prétendait. « Quoi ? » Elle ne se départissait pas de son sourire, alors même qu’il feignait l’ignorance, et que c’aurait pu la faire sortir de ses gonds — elle était connue pour être on ne peut plus caractérielle, et sa bonne humeur apparente était certainement plus terrifiante encore que sa colère la plus vive. « Déconne pas, tu sais parfaitement de quoi je veux parler, Riley. T’as eu des envies de folie, d’inconnu, d’aventure ? Je peux comprendre, tu sais. Le danger, ça rend complètement fou. »
Et elle riait, elle riait, et c’était glaçant, tant c’était l’un de ces rires sinistres que l’on donnerait tout pour n’avoir pas entendu. « T’as fait le con, Riley, à essayer de nous la faire à l’envers. Et ça, ça ne passe pas avec moi. » Elle s’était levée, avancée, et elle l’avait vue ; la peur dans son regard. « Serah, j’peux expliquer ! » Un soupir consterné s’échappa d’entre ses lèvres — classique, la tentative d’alibi — et elle ne prit même pas la peine de répondre avant de se pencher vers lui, son visage à moins d’un souffle de celui du drogué, qui s’était reculé sur sa chaise brinquebalante. « Souffre. »

Une seconde s’écoula, avant que les yeux de son vis à vis ne s’écarquillent, et qu’elle entende son inspiration s’étrangler dans sa gorge. Il s’effondra à même le sol, laissant échapper un gémissement pitoyable dans sa chute. « Serah ! » elle entendit, dans son dos, quand Meredith lui saisit le bras. Mais l’intéressée de se détourna pas de sa victime, hypnotisée par son propre méfait. Elle s’accroupit, lentement, posa un genou à terre avant de tendre la main en direction de la poitrine de l’homme — elle sentait battre son coeur sous ses doigts, à une vitesse folle, cavalcade paniquée entre ses côtes. « T’es tellement laid quand tu souffres, Riley. » Elle rit, doucement, de l’un de ces rires qui n’étaient d’un souffle entrecoupé de quelques sursauts. « Je me demande… Combien de temps il te faudrait de douleur pour devenir fou, et combien de plus pour expirer. » Sa voix était charmante, charmeuse, suave et mélodieuse, comme si elle s’adonnait à la séduction plutôt qu’à la torture. C’était pourtant du pire qu’elle se délectait.

De longues, bien trop longues secondes s’écoulèrent, avant qu’elle ne sente son propre esprit perdre toute emprise sur ce qu’elle infligeait à son martyr. Il parvint à prendre une respiration douloureuse, qui lui arracha une toux des plus violentes, et son sourire perdit en consistance — elle était frustrée, muselée par les limites de son propre don. Si elle avait su le faire durer bien plus longtemps que la première fois dont elle en avait fait le moindre usage, ça n’était pas assez, pas assez pour lui faire payer, pas assez, pas assez.
Elle siffla, songea à réitérer, mais il y eut comme une brise glaciale qui la traversa, la fit frissonner, et menaça de lui faire perdre pied. Il y eut des tâches de couleurs vives devant ses yeux, qui ne disparaissaient pas derrière le voile de ses paupières closes. La bile lui brûla la gorge, et elle n’eut que le temps de s’en aller se heurter les genoux contre le carrelage de la salle de bains entrouverte avant que ses hauts-le-coeur n’aient raison d’elle. Meredith s’était élancée à sa suite, mais Serah lui avait craché de se tenir à l’écart — elle était terrifiée, honteuse, sans même savoir se l’expliquer. De longues minutes durant, elle resta agenouillée, le souffle court et les mains tremblantes, des frissons qui glissaient tout le long de sa colonne vertébrale. Il fallut qu’elle reprenne ses esprits, avant de réaliser qu’un goût métallique immonde envahissait sa bouche. Elle cracha, de nouveau et, en essuyant ses lèvres d’un revers de main, elle fut saisie d’un nouveau vertige. Du sang. « Meredith ? » Sa voix, presque chevrotante, eut tôt fait ramener la domestique auprès d’elle. Une main sur son front, l’air soucieux, elle était aussi peu en l’état de comprendre ce qu’il se passait que sa jeune amie. « T’en fais pas, on va rentrer, tu pourras te reposer. » Serah, lentement, acquiesça ; elle n’avait pas l’envie — encore moins la force — de contester. Aussi se leva-t-elle, refusant catégoriquement l’aide de sa camarade, préférant celle du mur et de sa propre volonté.

Elle esquissa un pas, puis deux, assura confusément son équilibre, avant que de nouvelles paillettes vives ne viennent lui brouiller la vue et qu’elle ne s’effondre, plongée dans un état de demi-conscience fiévreuse.

Lorsqu’elle reprit ses esprits, elle était de retour dans sa chambre, allongée dans son lit, habillée comme elle l’était lorsqu’elle était sortie. Le soleil déclinait par delà la fenêtre, emplissant la pièce entière de tons orangés vifs, qu’elle chercha à fuir tant bien que mal en s’engouffrant sous ses couvertures, tant le mal de crâne qui la saisit tout à coup se fit insupportable et lancinant. Elle lâcha un grognement plus agacé que plaintif, avant de se traîner à contre-coeur hors de ses draps. Ses cheveux détachés lui tombaient en boucles mal agencées sur les épaules, si emmêlées que ses doigts s’y accrochèrent lorsqu’elle les glissa entre ses mèches rousses, mais c’aurait été un détail futile si elle n’avait pas eu le teint plus cireux qu’à l’accoutumée et des ombres profondes sous les yeux — elle avait les membres ankylosés, et les restes d’une nausée qui mit bien des heures avant de se dissiper. Ce ne fut l’histoire que de deux ou trois jours tout au plus, avant que le malaise de s’estompe tout à fait et, lorsqu’elle se souvint précisément de ce qu’il s’était passé, elle ne mit pas plus de quelques instants avant de faire de lien avec l’expérience du premier usage de son don et ce qui s’en était suivi, quelques années auparavant. C’était toujours le même refrain, toujours la même rengaine ; c’était différent, mais elle l’avait compris : c’était le prix à payer, le juste retour de ce qu’elle infligeait.

Ironie du sort, elle n’avait pas encore compris que cette règle s’appliquait à tous les domaines de l’existence — elle se sentait loin, tellement loin de tout ça, elle avait fermé les yeux et s’était juré de ne plus utiliser son don qu’en cas d’extrême nécessité, songeant que là se trouvait la seule embûche sur le chemin de sa petite vie, sur l’allée de dalles dorées qu’elle empruntait depuis déjà des années.



Dernière édition par Yûki le Jeu 27 Juil - 14:42, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: dance with the devil ((serah))   dance with the devil ((serah)) Icon_minitimeJeu 27 Juil - 14:36

Histoire ;
born to fall — Les mois s’étaient écoulés, et les secrets étaient tombés ; de regards coulés de biais en baisers échangés au détour d’un couloir, les doutes n’étaient plus permis sur la nature de la relation qu’elle entretenait avec le Merryfall. Son père, forcément, n’avait pas non plus été le dernier au courant et, s’il s’était tenu hors de leur histoire les premiers temps, devinant que l’idylle se prolongeait, il s’était décidé à s’entretenir enfin seul à seul, face à cet homme qui, peu à peu, lui prenait sa fille unique, son blason, son héritière. S’il admirait l’engagement de Daemon dans son entreprise, il n’était pas sans savoir que l’appât du gain rendait les mâles capables du pire. Voler un coeur pour l’or que l’on discernait entre les cuisses d’une fille issue d’une famille pleine aux as et promise à un avenir financier radieux, c’était si facile, si courant que même lui s’en méfiait —même lui voulait savoir, s’il pouvait simplement fermer les yeux et accorder sa bénédiction à leur liaison dangereuse.            

Serah avait fait mine de leur accorder ce temps sans rechigner, mais ne leur avait finalement laissé le répit que de quelques minutes d’avance, avant de les prendre en filature. Si son éducation lui avait pourtant appris qu’il était mal d’écouter aux portes, elle ne s’en était jamais formalisé —ce que l’on dissimulait aux yeux les plus curieux, aux oreilles les plus traînantes était toujours plus intéressant que ce qu’on laissait ouïr au monde entier. Les allées serpentaient entre les alisiers, les aulnes et les cerisiers du domaine, se divisaient quelquefois pour mieux se rejoindre à nouveau quelques dizaines de mètres plus loin, aussi Serah avait-elle quelques difficultés parfois, à retrouver leur trace. Si elle avait entendu quelques échanges à propos de soirées ou d’autres choses toutes aussi formelles qui ne captaient guère son attention, ce qui l’intéressait véritablement lui échappait encore ; c’était à présent qu’elle ne les trouvait plus nulle part qu’elle se persuadait qu’elle loupait tout ce qui pouvait bien se dire à son sujet. Et elle s’en agaçait, princesse outrée de n’être pas de la partie, alors que c’était d’elle que l’on conversait sans doute.

Et puis, tout à coup, une voix. Un ton, familier, pourtant dérangeant ; une intonation différente, qui fit remonter un interminable frisson le long de sa colonne vertébrale. Si elle l’avait déjà entendu de temps à autres, ça n’était jamais à elle qu’il s’adressait, et c’était toujours lorsque le pire s’annonçait.
Elle ralentit, l’angoisse lui serrant le coeur, le palpitant battant à tout rompre, le sang pulsant contre ses tempes ; son corps savait déjà ce qu’elle refuserait d’admettre. C’était ce désir d’avancer, de courir en avant, d’en finir avec cet entre-deux de doute et de terreur qui la saisissait et lui faisait tourner la tête, lui donnait des sueurs froides et brouillait son esprit jusqu’à ce qu’elle fût rendue incapable de raisonner clairement ; mais c’était cette peur, cette appréhension qui la retenait en arrière, chaîne à ses chevilles et prison à sa volonté. Arrête, lui sommait cette voix stridente dans sa tête ; n’avance plus, suppliait l’éclat brisé de sa conscience ; ne regarde pas, tentait encore le débris poussiéreux de son innocence.

« Papa ! »
Un cri, écorché d’un sanglot déchirant.
Daemon, fier, droit, le regard paisible, la main sûre autour de la lame pleine du sang de l’homme allongé sur le flan, contre le gravier couleur de sable qui sillonne les allées et se teinte d’un carmin répugnant. Son père. Elle se brise, elle se déchire ; les chaînes volent en éclats et elle se jette au chevet de l’homme que l’on vient d’assassiner. Ses épaules s’agitent des sanglots étouffés, quand celles de son géniteur sont prises de soubresauts sous la douleur, la vie qui s’en va, qui lui file entre les doigts comme l’écarlate qu’il ne sait pas retenir. « Papa » elle lâche encore, et c’est comme le son d’un verre qui explose contre le carrelage. « Ser- » Il tousse, il étouffe — il ne peut même plus prononcer le nom de sa fille sans que la mort ne vienne lui effleurer les lèvres.

Elle tremble, quand elle se saisit de la main qui se tend vers elle ; elle tremble, quand elle serre aussi fort qu’elle en est capable ; elle tremble, comme si sa détresse pouvait le maintenir en vie, rien qu’un instant de plus, comme si cet instant de plus signifiait toujours. « Je suis désolée, si désolée, tellement, tellement désolée, papa... » Elle ne s’était jamais évertuée à être l’enfant, jamais évertuée à être la fille, jamais évertuée à être la princesse. Elle s’était elle-même glissée dans la peau d’héritière sans que rien ni personne ne l’y force, elle avait plongé le bout des ongles dans la déchéance du monde, avait frôlé les allées sombres pleines des vices qu’elle distribuait en sachets de poudre et pilules, et c’était par pure envie, par désir, par fascination. Elle se complaisait dans le rôle qu’elle jouait, tant et si bien qu’elle avait fini par en oublier l’affection, les merci, les pardon ; elle s’en retrouve là aujourd’hui : incapable de trouver les mots qu’un enfant doit à son père lorsque les ombres du sommeil éternel le réclament avec tant de férocité que toute tentative de changer l’ordre des choses serait vaine —même elle en est parfaitement consciente.

Ce sont ses mains à elle, désormais, qui sont pleines de sang, poisseuses et collantes de la mort qui s’écoule sur elle et tâche sa peau si blême, si douce et de porcelaine. Poupée brisée, poupée disloquée qui s’effondre sur le torse de son père lorsqu’il rend son dernier soupir, l’ombre d’un sourire sur les lèvres. Ne t’en fais pas, signifie cette esquisse légère déjà parée d’un voile d’au-delà ; tu étais tout ce qu’il me fallait. Oh, non, elle n’avais jamais essayé d’être sa princesse. Pourtant, c’était le rang qu’il lui avait accordé d’office, sans conditions ni contrepartie. Du jour où il l’avait vue, petite chose emmitouflée dans un drap de soie, elle était devenue la femme de sa vie, son trésor le plus précieux à chérir, celui qu’on ne lui ôterait d’aucune compensation monétaire. Elle était celle qui lui restait, lorsque celle qui faisait luire ses yeux d’amour lui avait été arrachée ; elle était le rayon de soleil qu’il s’était juré de protéger. Alors, pourquoi tu t’en vas, papa ?

Pourquoi tu t’en vas, pourquoi tu meurs ?
Pourquoi toi aussi, tu m’abandonnes ?
Hein, dis papa, pourquoi tu fais comme maman ?
Dis papa, pourquoi tu l’as laissé te tuer ?


Elle hoquette, elle vacille. Assassiné, assassiné ; il a été assassiné. La vérité la prend à la gorge, comme une claque, comme une bombe qui explose enfin. Elle en a le souffle coupé, la nausée qui lui retourne l’estomac, la bile qui lui brûle la gorge. Elle a les joues striées de larmes, le teint cireux, les yeux rouges et gonflés. Elle en serait presque laide, si la haine tout à coup ne la rendait pas si vivante qu’elle en devient plus sublime encore ; altesse devenue bête sauvage assoiffée. Justice, vengeance, équité, châtiment, ou légitimité ; elle n’en a que faire du nom que l’on donne à ce qu’elle s’apprête à faire —ce qu’elle crève d’envie de faire.

Flageolante, elle se redresse, titubante, elle s’avance, chancelante, elle se jette sur lui. Le frapper, l’étouffer, lui voler son arme et lui ouvrir la gorge — elle se fiche des moyens, pourvu qu’il souffre, pourvu qu’elle lise la douleur dans ses prunelles, pourvu qu’il s’effondre comme s’est effondré son père. En un instant, une seconde, la situation se retourne ; immobilisée, elle se débat comme animal que l’on tente d’enfermer, d’asservir, de soumettre aux mains les plus cruelles. « Crève, crève, Daemon crève ! » Elle hurle, elle pleure, elle tente de griffer ces mains qui la retiennent, de les mordre si seulement elle parvient à les atteindre — elle veut qu’il souffre, qu’il souffre à en mourir ; lâche-moi, laisse-moi te montrer l’horreur de tes actes, laisse-moi te tuer, laisse-moi te faire payer.
« Serah ! » Elle se fige, tout à coup. Le regard dans le vague, qui accroche sans vraiment les voir les iris aux airs emplis de sang sous la lumière décroissante du soleil qui s’enfuit derrière les amoncellements de nuages menaçants. Il se penche, l’embrasse ; elle cesse de respirer et son monde tout entier s’ébranle. C’est le choc, la colère, ce qu’il reste d’amour et d’espoir de s’éveiller comme d’un mauvais rêve, la haine qui ne trouve plus rien à puiser dans l’anéantissement de son être.

Elle sent son souffle tiède contre ses lèvres, une seconde d’apaisement avant que ses larmes ne reprennent le pas sur le calme retrouvé, parce qu’elle a deviné la prunelle qui s’emplit d’or liquide — qu’elle sait ce que cela signifie. Mais elle n’a plus la force, plus la force de lutter, plus la force de le repousser. Elle est à sa merci. « Oublies. Dors. » Elle sanglote, petite fille brisée, livrée en pâture aux loups. « Pourquoi...
» Ça lui échappe, peut-être pas ; elle n’a pas le temps de se demander si elle l’a dit ou juste pensé, avant de sombrer dans les méandres des souvenirs volés.

Lorsqu’elle reprit connaissance, bien plus tard dans la journée, on tenta de la ménager, de la préserver le temps qu’elle émerge, l’on essaya aussi de savoir si elle parvenait à se souvenir d’elle-même de ce qu’il s’était passé, avant qu’elle ne sombre. Mais c’était un mur d’obscurité, le flou le plus total, que l’on mis sur le compte du choc, du traumatisme — un assassinat, mené par un groupuscule qui désirait voir tomber Salvatore et son affaire. Les mots la laissèrent sans voix, les lèvres entrouvertes et la gorge nouée tandis que le flots de paroles que l’on déversait en face d’elle paraissait couler sans l’atteindre, comme si c’était d’autrui que l’on parlait. Une attaque lancée contre son père, elle était dans les parages alors qu’elle n’aurait pas dû, lui n’en avait pas réchappé, et il s’en était fallu de peu qu’elle soit repérée et subisse le même sort. C’était Daemon qui l’avait aidée ? Meredith ? Quelqu’un d’autre ? On le lui avait sans doute dit, elle n’avait pas retenu.
C’était un jeu de dés, et ils étaient pipés. Des coïncidences, un coup de chance. Un concours de circonstances, qui la laissait orpheline, alors même qu’elle ne réalisait pas encore. Elle avait l’impression d’entendre la voix de la présentatrice des informations à la télévision, lorsqu’elle énonçait les faits divers en début d’émission ; pourtant c’était Meredith qui parlait, et c’était à elle qu’elle s’adressait. Elle, Serah, les yeux perdus dans le vague et la sensation de n’être plus dans son corps, plus de ce monde, déjà loin — elle ne touchait plus terre, et plus rien ne l’atteignait. Plus rien, sinon le vide qui l’emplissait peu à peu, à mesure qu’elle comprenait enfin la portée de ce qu’on lui racontait ; au fil du récit qu’elle finissait par assimiler comme celui de sa vie, de sa nouvelle vie, de la réalité qui venait de la frapper. Du prix à payer pour ce bonheur qui avait duré bien trop longtemps au goût du monde.

Elle se retira du devant de la scène, ne reprit pas l’affaire de son père, alors même qu’elle en était l’héritière légitime. Elle n’en avait pas la force, pas le courage — moins, encore, alors que Daemon se tenait à l’écart, prétextant la culpabilité et s’excusant mille fois au moins d’avoir été impuissant à sauver l'homme éteint. Lorsqu’enfin, il cessa de se confondre en excuses qui ne servaient plus à rien désormais, elle lui céda l’affaire dont elle ne se sentait pas la volonté de reprendre les rênes — le Merryfall à la tête du cartel, elle s’estimait satisfaite de tenir encore la même place qu’elle entretenait déjà lorsqu’elle n’était que la seconde de son père, agissant dans l’ombre, connue de beaucoup mais toujours en deuxième temps. D’autant plus qu’elle tâcha de se faire oublier, les premiers mois, serrant les dents lorsqu’elle croisait des regards emplis de pitié, le coeur haineux lorsque c’étaient de la réjouissance malsaine qu’elle devinait luire dans les yeux qui s’attardaient sur elle. Peu à peu, elle apprit à haïr, elle qui n’avait toujours que méprisé, tout au long de sa vie ; à haïr ceux qui la prenaient de haut, ceux qui jugeaient son nom et son sang, ceux qui essayaient d’entacher son honneur et de profiter de son âme blessée pour se jouer d’elle. Elle apprit, mais peut-être n’était-ce encore pas assez, pas encore ce qu’il fallait pour ne pas que cette haine finisse par la consumer toute entière.

born to hate — Un an, deux ans ; c’était le calme retrouvé, et son deuil qui se faisait moins difficile au fil des jours, des semaines, de mois qui passaient ; elle avait accepté, elle s’était rendue à l’évidence et fait une raison : on ne ramenait pas les morts à la vie, qu’importe le prix que l’on était prêt à débourser. Si l’on achetait beaucoup de choses sur l’étalage des interdits — des femmes prêtes à donner un peu d’affection le temps d’une nuit, de la poudre de rêve ou de l’arsenic susceptible d’être versé dans la coupe de l’ennemi juré que l’on inviterait en toute amitié à fêter sa dernière victoire au pays de l’or — il demeurait encore des artefacts qui n’étaient que phantasme de l’esprit et que même le plus grand des sacrifices ne savait rendre tangible — l’éternité, ou les secondes chances.
Parce qu’elle demeurait cette enfant blessé à qui l’on avait volé des années d’acharnement pour être la parfaite qui s’était vouée à l’échec, Serah se tenait plus éloignée qu’elle ne l’aurait sans doute dû des affaires de son père. Mais c’était qu’elle avait plus confiance désormais en la poigne de Daemon sur l’illicite de l’entreprise que la sienne — ses mains n’avaient plus jamais cessé de trembler, après qu’elles aient été tâchées du sang de son paternel. Elle observait de loin, conseillait parfois, gardait un oeil sur tout ce qui se faisait, sur leurs potentiels concurrents aussi. Au mieux, lorsque l’envie l’en prenait, c’était d’obscurité qu’elle se paraît, pour s’enfoncer dans les recoins mal fréquentés de la ville — toujours armée, jamais gibier ; elle assurait le marché tout autant que sa propre sécurité. On la reconnaissait, on la respectait. Si c’était par son nom, son affaire ou parce que l’on connaissait son soupirant et qu’il inspirait la crainte, les plus consciencieux prenaient soin à ce qu’il ne lui arrive jamais malheur lorsqu’elle s’aventurait si loin dans les quartiers de la déliquescence.

Elle aimait ce qu’elle faisait, quand bien même c’était immonde, abject, immoral et sordide. Elle était née sous une mauvaise étoile, celle de la destruction — et ça ne devait pas être la sienne ; c’était elle qui détruisait, elle qui détenait le pouvoir, elle qui intoxiquait et s’amusait des retours incessants, des visages qu’elle devinait être toujours les mêmes, plus creusés, plus avides que la fois précédente de savoir de quels trésors elle emplirait leurs mains — leurs poumons, leurs veines. Et ç’aurait pu continuer.

Si seulement, si seulement ; si seulement il n’y avait pas eu tout à coup la nausée, les images brumeuses de sang et de râles douloureux, le souvenir confus d’un sanglot étouffé, réprimé, puis de pleurs qui ne trouvaient plus à s’apaiser. C’était indistinct, c’était abstrait ; mais c’était les prunelles céruléennes de son père parées d’un voile d’étain, c’était ses propres mains qu’elle discernait baignant dans le poisseux de la vie qui le quittait, des supplications et des excuses qui ne trouvaient plus oreille pour les ouïr, c’était l’odeur de la mort qui flottait partout autour d’elle. Elle s’était enfermée dans les toilettes, s’était pliée sous la douleur, la nausée, les haut-le-coeur qui la secouaient ; puis, incapable de mettre des mots sur le soulèvement qui la prenait, elle prétexta une indigestion, un coup de froid ou une allergie aussi violente qu’inattendue.
Ses nuits, en suivant, ne furent plus jamais paisibles : elle s’éveilla tant de fois, fiévreuse, ébranlée de mille frissons et des sanglots étranglés dans sa gorge que plus aucune ne lui fut agréable, même lorsqu’elle trouvait refuge dans les bras de Daemon.

Elle aurait pu s’habituer, peut-être ; elle aurait pu, sans doute, un soir, fermer les yeux et ne plus voir sans cesse le dernier soupir de son père comme si c’était le seul souvenir qu’elle détenait encore à son sujet. Elle aurait pu, s’il n’y avait pas eu ce brouillard qui s’était dissipé plus encore. Une lame criminelle, dans une main trop familière, du sang sur ces doigts qui avaient tant de fois effleuré sa peau frémissante dans l’intimité de leur chambre, un ton à l’emprunt glacial, qui l’avait figée d’horreur quand elle l’avait de nouveau entendu, sans même être capable de saisir le moindre des mots qu’il prononçait. Un visage, un regard, la surprise et la décontenance sur des traits qu’elle avait trouvé sublimes et délicats la première fois qu’ils s’étaient dessinés sous ses yeux, et qui se paraient tout d’un coup d’une laideur, d’une disgrâce, d’une monstruosité qu’elle ne parvint alors plus jamais à lui ôter. Elle en fut malade, de nouveau.
Dans les prunelles fascinantes de celui qu’elle aimait plus que de raison venaient de s’esquisser l’ébauche d’une réalité plus hideuse encore qu’elle ne pouvait l’imaginer ; sur les lèvres au goût de sève venaient de s’ancrer les mots du mensonge et du simulacre ; le long des mains tièdes au toucher aérien coulait le vermeil qui les rendait malfaitrices et capables du pire.

Oscillant par dessus ce prénom qu’elle avait tant de fois susurré sur le ton du bonheur, du secret comme de la provocation, en lettres grenat s’étalait à présent le sobriquet d’assassin.

Baratineur, charlatan, fallacieux, hypocrite, elle aurait pu trouver tant d’autres qualificatifs, les lui hurler, les lui graver dans la chair à la seule force de ses ongles et de sa volonté, furieuse et véhémente, de lui faire payer. Mais c’était le silence, plus ravageur encore que tous les cris, que toutes les bravades, que tous les crimes qui l’avait emporté. Elle savait, à présent ; elle savait la vérité, quand bien même était-elle encore noyée par ce qu’il restait de nébulosité sablonneuse. Elle savait, elle savait tout ; ce qu’il était, ce qu’il avait fait : il l’avait trahie, trompée, il l’avait détruite et puis enfermée entre les quatre murs d’un paysage d’artifices. Il l’avait abusée, elle et sa confiance, elle et son amour, elle et tout ce qu’elle
lui avait accordé
. Par plaisir, par intérêt, si c’était justifié, elle s’en moquait ; elle savait, et la haine destructrice qui avait remplacé le sang dans ses veines au fil des jours la conforta dans la décision qu’elle méditait déjà avant que tout ne lui revienne : partir, s’enfuir. Rester, c’était crever, elle s’en persuadait. Elle brûlait, elle brûlait de colère, bouillonnait d’incompréhension, se consumait de questions qu’elle devinait à jamais sans réponse — parce qu’elle ne trouverait jamais la force de les lui poser sans attiser en elle ce désir cuisant de céder à l’appel de la vengeance.

Dans la confidence de Meredith, elle organisa toutes les formalités de son départ. Rien ne devait être précipité, tout se devait d’être calculé ; elle ne partirait pas les mains vides, et dérober tout ce qui pourrait lui servir sans que la vérité sur sa mémoire retrouvée n’éclate — par crainte qu’il ne l’élimine, peut-être ; qu’il fasse ce qu’il aurait dû faire quand il en avait l’occasion, plutôt que de lui laisser la vie sauve à défaut de souvenirs clairs ? — fut son unique préoccupation, les jours qui suivirent. S’assurer que l’héritage financier légué par son père ne risquait pas de lui être dérobé, subtiliser quelques centaines de grammes de stupéfiants sans que la dynamique des stocks paraisse inhabituelle, s’assurer que sa prochaine adresse ne serait pas trouvée tant qu’elle n’aurait pas assuré sa sécurité tout autant que la stabilité de la nouvelle entreprise illégale qu’elle s’était mis en tête de monter, sur les fondations de celle qui lui avait été amputée sans qu’elle n’en remarque rien.

C’était auprès de ces jeunes des quartiers miséreux qu’elle fréquentait personnellement pour ses reventes qu’elle entendait bien reprendre de son influence dans les secteurs de la fraude et de l’illégalité. Aussi fit-elle plus régulièrement encore des descentes jusque dans leurs districts, conversant et nouant des relations peut-être plus affectueuses que celles qui liaient habituellement un toxicomane et son fournisseur, assurant son emprise sur ces quelques arrondissements-là. C’était peu, sans doute, mais c’était son gagne-pain ; aussi n’entendait-elle pas lâcher l’affaire des marchés noirs aussi simplement qu’elle l’avait cédé à l’aîné Merryfall, une première fois.

Convenances arrangées, elle attendit, se fit oublier tant qu’elle le pouvait, se fit porter souffrante pour que son compagnon l’approche ne serait-ce qu’un peu moins. Dans sa chambre laissée close durant de longues heures l’espace de quelques jours, il n’y avait plus que Meredith qui osait franchir la porte sans la moindre once d’inquiétude. Un jour qu’il pleuvait dehors, aux alentours de midi, la domestique s’invita dans la pièce sans même avoir pris soin de frapper — depuis longtemps déjà, lorsqu’elles n’étaient que toutes les deux, la bienséance avait été mise de côté. « Tu comptes toujours partir ? » avait-elle demandé à voix basse, assise au pied du lit de son amie. « Après tout ce que j’ai fait pour m’assurer d’en être capable, tu me le demandes encore ? Tu n’es pas obligée de me suivre, si la vie ici te convient. » Une ombre traversa le regard de Meredith, avant qu’elle ne lève les mains en un signe d’abandon. « J’ai juré à ton père de ne pas te laisser faire n’importe quoi, je ne vais pas manquer à ma parole maintenant que tu te décides à faire des folies. » Une hésitation, un soupir, et son regard se porta au delà de la fenêtre entrouverte. « Mais tu ne m’as toujours pas dit pourquoi tu ne veux plus rester ici. Tu as le cartel, tu as Daemon… Pourquoi tout ça ? » Le silence s’éternisa, tant et si bien qu’elle finit par reporter son attention sur Serah, qui refusa obstinément de soutenir les prunelles qui se posaient sur elle, en quête de réponses. « Sois prête à partir cette nuit, il faudra quitter le domaine avant que le jour n’ait fini de se lever. »
A l’heure du déjeuner, elle quitta enfin sa chambre et annonça, sourire aux lèvres et regard pétillant, le retour de sa santé et la reprise complètes de ses affaires aux côtés de Daemon.

La nuit qui vint, pourtant, fut la dernière d’amour.  
Elle le haïssait, le maudissait, l'exécrait. Pourtant, c’était elle qui avait glissé ses doigts sous les draps, elle qui était venue chercher les lèvres humides, elle lui avait soufflé la requête fiévreuse à l’oreille de celui qu’elle désirait pourtant faire tomber de son piédestal. C’était elle, haineuse, pleine de fiel, malveillante et la bouche pleine de poison, qui avait désiré cette dernière nuit sous ses mains, sous ses baisers de Judas qu’elle avait tant aimés, tant chéris avant de savoir qu’ils n’étaient que peste et choléra ; c’était elle qui avait fermé les yeux pour s’y offrir une ultime fois, celle de trop, celle qui acheva de la briser sur les éclats de sa propre stupidité.

Au petit jour, elle s’arracha aux bras qui la retenaient, s’habilla sans un bruit, et se glissa jusqu’à la porte, où elle se figea. Main sur la poignée, regard par dessus son épaule, c’était l’adolescente alanguie, entichée qui hésitait, tergiversait. Et puis, sa main retomba, ses pieds nus se firent silencieux sur le parquet alors qu’elle se coulait jusqu’à la silhouette encore endormie. Qui aurait pu croire, à le voir ainsi, qu’il était capable du pire, qu’il l’avait déjà commis, peut-être pas qu’une fois ? Elle se pencha sur lui, parcourue d’un frisson qui ne trouverait plus jamais à s’apaiser. « J’aurais voulu que les choses soient différentes, mais tu ne m’as pas laissé le choix. » souffla-t-elle, d’une voix presque inaudible, contre les lèvres dont elle venait de recueillir encore un peu du venin qui la tuait de l’intérieur. Elle tendit les doigts dans l’espoir d’effleurer une parcelle de peau, une mèche de cheveux mais, dans la crainte qu’il n’ouvre les yeux, elle s’écarta, recula, et s’enfuit de la chambre sans un regard en arrière, chaussures à la main.

A un autre des domestiques du domaine, elle confia un billet sous cachet, le chargeant de le remettre personnellement à Daemon — lorsqu’il lirait les lettres rondes, la devinette, la provocation agrémentée d’un coeur aussi faux que l’incandescence de leur passion avait pu être vraie, il saurait, il comprendrait ; alors, mon amour, lequel de tes plats te tuerait assurément, de ton propre poison déversé jusque dans mes veines ? Du même coup, elle s’assura qu’on lui apporte le petit déjeuner jusque dans leur chambre, comme s’il ne s’agissait de rien d’autre que d’une routine matinale de jeunes adultes amourachés.
Pour son réveil aux aurores et sa tenue qui signifiait une aventure à l’extérieur, elle prétexta l’un de ces nombreux trajets jusque dans les quartiers défavorisés — commerce, profit, c’était toujours la même rengaine, et on l’acceptait sans chercher plus amples détails. « Ne nous attendez pas, Meredith et moi, pour le déjeuner. » Ne nous attendez plus jamais, pensait-elle, si fort qu’elle fut presque certaine qu’il comprit ce qu’elle sous-entendait. « Nous en aurons sans doute pour un peu plus longtemps, aussi nous irons manger en ville, pas d’inquiétude. » Dernières modalités arrangées, elle s’appuya la main contre le mur pour enfiler ses chaussures, et puis sortit, face au grand jour qui l’attendait, Meredith déjà assise sur le perron de marbre. Sitôt qu’elle vit la belle aux cheveux de feu poser le pied hors de la bâtisse, elle se releva, et adressa un sourire à sa maîtresse, dont le visage affichait un air si grave qu’elle ne faisait que dissimuler sa propre inquiétude. Elle lui prit la main, un instant ; il n’y avait pas besoin de mots pour qu’elle comprenne que, si Serah ne lui dirait jamais le poids qui pesait sur ses épaules, c’était pour mieux vivre qu’elle s’en allait. Pas plus qu’il n’y avait besoin de mots pour que l’héritière comprenne qu’elle avait trouvé en la domestique une alliée de taille contre le monde, une témoin silencieuse qui serait force, pilier, aile manquante si elle venait à vaciller.

« Toujours sûre de ce que tu fais ? » souffla Meredith, alors que la voiture de Serah quittait l’allée de graviers au profit de l’asphalte. Dans son rétroviseur, elle adressa un dernier regard à la fenêtre de sa chambre, celle qui était la leur lorsque Daemon se traînait jusqu’ici, puis ferma les yeux. Une profonde inspiration, et son regard se porta sur la route sur laquelle elle venait de s’engager, et qui l’éloignait de tout ce sur quoi elle avait laissé reposer sa vie entière, jusqu’à présent. « Toujours. » lâcha-t-elle, le ton tout à coup déterminé, la voix assurée, les prunelles envahie d’une flamme de défiance.

Cette fois-ci, la vie ne l’aurait plus au jeu de la malveillance et des mauvais tours.
Serah reprenait les rênes de son existence.
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